Il y a des itinéraires qui font rêver, qui laisse pantois, qui titillent notre lobe arrière droit (celui qui commande notre instinct le plus primitif de chasseurs de paysages), qui dessinent un petit sourire sur nos visages parfois trop bronzés par l'altitude. Et bien cette virée pédestre face à l'altier Mont Blanc en fait partie.

Alors quand une telle sortie apparaît sur l'agenda, on coche les jours sur le calendrier, se désespérant de voir que les lignes de Stabylo ne veuillent toujours pas atteindre la date tant attendue. Et comme à l'approche d'un beau noël, les chaussettes accrochées sur la cheminée et la carte I-Geuneu sous l'oreiller, on compte les quelques dodos qui séparent du grand jour.

 Mais cette saison, la météo avait décidé que non, il n'y aurait pas de réveillon à préparer son sandwich au thon et à vérifier une dernière fois que l'appareil photo fût bien dans le sac. Cet été, à l'instar d'une fosse de festival à Carhaix ou d'un curiste sur la côte basque, les Alpes se sont parés d'un épais manteau boueux. Sur les chemins ça dégouline, les sentiers se transforment en une vaste plaine alluviale. Autant dire que l'on sentait que notre périple à travers les Fizz allait se transformer petit à petit en un long week-end sur le canapé derrière la vitre, à regarder les gouttes et quelques films (...au hasard... « Mud »?).

Nous n'étions que quatre joyeux lurons à participer à ce projet, et aucun de nous n'avait envie de passer 3 jours devant son magnétoscope ou sa Game Boy (on me souffle à l'oreille qu'en 1994, le CAF Chambéry avait 120 ans...). Il fallait donc agir pour profiter coût que coût de notre rando.

Pau, en bon encadrant diplômé lorgnait sur un plan B dans un autre massif, Séverine commençait à monter une pirogue dans son garage, Guillaume à coudre un ciré breton sur sa goretex, pendant que je prenais la direction du vidéo-club.

Et puis le mercredi soir arriva, et finalement les prévisions se révélaient être plutôt pas mal. Alors Pau rangea son topo « 40 balades autour de Cancun », Séverine ferma son garage et Guillaume remisa ses souvenirs du Morbihan au placard (...de toute façon les vidéos club ça n'existe plus!).

Débarquement le vendredi matin à Servoz dans une atmosphère bien humide avec un plafond bien bien bas. Nous passons une bonne demi heure à se décider de notre lieu de départ : allions nous partir de la gare et s'offrir une montée hors catégorie au risque de se faire rincer comme il faut, ou allions nous raccourcir cette première étape pour limiter l'arrosage ? (il paraît qu'à nos âges on ne pousse plus).

Comme le plafond semblait se déchirer, et que la terrasse ensoleillée du dessus se laissait découvrir, on se décide à partir pour le refuge de Platé depuis le point le plus bas de la vallée, faisant fît des éléments.

 Le doute, la peur, l'anxiété transpire sur nos visages "pourquoi on est venus ?"

La montée se fait le long des hameaux de Servoz : quelques balcons nous abritent du crachin qui va et qui vient, les vergers prennent une jolie teinte avec quelques éclaircies, le sentier se perd par moments sur de petites routes communales et derrière un portail à la peinture rouge écaillée un chien aboie...notre caravane passe.

A cause de cette semaine de 4 jours, Pau n'avait pas pu finir son roman de la semaine !

Rapidement, nous arrivons au lac vert, le temps d'une petite collation et nous rattaquons la montée vers le refuge.

Les quelques 800 mètres de hauteur qui nous séparent du refuge sont superbes. Le plateau se laisser conquérir par un petit sentier au cœur des falaises. Région du Mont Blanc oblige, nous ne sommes pas seuls à cheminer dans ce cirque : une farandole de ponchos avec des gens dessous descendent vers la vallée après une journée à chercher un peu de soleil, nous les saluons cordialement et rejoignons le refuge.

L'un est à 500 mètres, l'autre à 2h "On a dit qu'on allait où déjà ?"

Lac vert

No comment 

Ce soir, le refuge fait quasiment le plein. Nous nous serrons tous dans la petite pièce de séjour, un verre de Lug à la main, et un jeu de cartes dans l'autre. L'ambiance est détendue, les discussions vont bon train, l'équipe du refuge est au petits soins pour nous, tout va bien. Avant le soûper, ce sera lecture de carte, choix de sa couche, jeu de société sur la culture de l'apéro dans le monde (si si , ce jeu existe!) et repas frugal. Dehors la pluie semble s'arrêter...pour mieux laisser le brouillard s'installer. Il n'y aura donc pas coucher de soleil sur nos cartes mémoires. Nous nous glissons sous nos couettes, bavardons quelques minutes avec nos compagnons parisiens de dortoir, et nous abandonnons à Morphée.

Pau a la fashion week end de Platé, les marmottes se pressent sur le podium

Atelier apéro 

Le réveil est extrêmement plaisant, d'une part, les nuages commencent à filer de l'autre côté des Alpes ; et d'autre part, la faune locale décide de se montrer en nombre, comme si elle attendait d'être regardée. En effet, avant d'avaler un petit déjeuner copieux, nous nous adonnons à une petite séance photo pas piqué des vers avec dans le coin gauche, 4810 mètres de haut et des épaules d'armoire à glace (et de neige cette saison) , le Blanc, et dans le coin droit, deux cornes sur chaque tête, les ibex locaux. On se lâche sur les photos !

Séverine fait fonctionner les circuits courts pour son casse-croûte (aucun animal n'a été maltraité pendant cette rando)

Après avoir refait son sac, c'est à dire avoir mis le k-way, le poncho et la capuche de pluie juste sous le rabas au cas ou il viendrait à « dracher » (on n'est jamais assez méfiant), nous faisons route vers le col de Portrette, suivi par d'autres marcheurs hardis comme nous.

Le col, avec ses nuages tout cotons, sa lande bien verte à ses pieds, et ses colonies de moutons donnent à ce petit lieu de la Yaute un petit goût d'Irlande pas désagréable.

Nous descendons vers les chalets de Sales avant de rejoindre le chemin un poil escarpé mais tellement magnifique, qui nous fera longer le et les cascades de Sales. Là aussi, on se lâche sur les clichés. Pas de doute cette saison, il y a de l'eau.

Au dessus de Sixt, nous bifurquons en direction du col d'Anterne pour une longue remontée à grands coups de brasses et de quatre fois quatre nages dans la boue.

Passage au col de Portrette

Winter is coming

Une des cascades de Sales

Cette personne vient de   a)remonter du grouffre Berger   b) se perdre dans le marais poitevin         c) jardiner son riz   d) randonner dans les Fizz

Ce qui est assez amusant dans ce secteur tout près du Mont-Blanc, c'est de voir la diversité des pratiques : un traileur en bas de compression blancs (bon choix de couleur) va doubler une famille avec son âne ; la même qui va croiser des badauds en recherche d'un coin pique-nique (la glacière est lourde à cette étape !) ; et ces même badauds qui patientent avant de passer devant un groupe de joyeux chambériens qui s'attardent à se prendre en photo devant chaque coin de montagne ! Mais ce qui est encore plus amusant, c'est de voir chacun glisser, s'empêtrer, valser, twister, s'enfoncer dans la mélasse de boue qui coule sur les chemins !

Arrivés au collet d'Anterne , nous faisons face au cirque des Fonds, l'endroit est coquet. Nous trouvons un coin de crête presque pas trop mouillé et nous cassons la croûte, avant de faire une petite sieste. Nous sommes vite tirés de notre petit sommeil par un bruit étrange, entre celui que fait le carton coincé dans les rayons de votre bicross et celui de la toile du bivouac en pleine tempête. C'est tout simplement un gypaète, qui, curieux ou nous pensant trop endormis nous survole à très basse altitude ! Un très chouette moment.

Après le passage vers le lac d'Anterne dans une nature toute écossaise, où nous comptons les moutons, nous gagnons le col d'Anterne. Mais là où les topos internet, là où les beaux livres en papier glacé de nos librairies et les encadrants prédisaient le spectacle, une enfilade de sommets à rendre fou le plus blasé des randonnistes, ce ne fût que brouillard, extrême fraîcheur et humidité. Il faudra nous contenter de l'apparition du Mont Blanc ce matin (et du papier glacé!). Nous croisons à ce moment, un couple de « grimpeur-spéléo » en route vers la « cave de glace », une grotte bien gelée au pied d'une grande voie des Fizz (si un lecteur connaît ce lieu, je suis preneur du topo).

Une petite machine !

Avant le refuge Wills

50 nuances de boue

"Vous êtes plutôt plutôt pissaladière ou plutôt gouda ?"

Il ne manque plus que William Wallace et nous sommes dans les Highlands

Dans l'enfer humide de la rando, un peu de tendresse

"Regarde les, ça fait 140 ans qu'ils marchent comme ça"

Suite à quelques lacets en descente, nous prenons pied dans le très complet refuge du Moëde d'Anterne. Il ne faut pas cacher que nous apprécions la chaleur, les douches, la bière, le réfectoire et nos diots polenta. On essaie toujours de se faire passer pour des aventuriers, des afficionados de l'autonomie, mais là après deux jours de boue et de rincette, nous n'étions pas contre ce confort.

Pendant la soirée, Pau commence à s'inquiéter des conditions pour le Buet demain, on dit que la neige est proche, qu'elle est tombée en masse, qu'elle est blanche et qu'elle est froide, mais surtout qu'elle peut sacrément nous ralentir le lendemain. Et comme le dernier train est à 18h40, pas question de se mettre dans le rouge. Heureusement, nous sommes bien aidé par le maître des lieux, qui derrière son tiroir caisse, se contentera d'un inoubliable « bof, vouverrez bien demain... ». (Nous ne serions trop vous recommander l'accueil et le service du refuge de Platé plutôt que le trop froid Moëde d'Anterne).

Week-end  "Buet"

Départ à 7h bien précises du refuge, et là les prévisions météo sont bien correctes et le show alpin est au rendez vous : la Verte toute immaculée, la dent de Crolles, les Fizz, la pointe de Pormenaz, le glacier de la Girose, le Charvin...toutes les vedettes en tenue de gala.

La longue traversée vers le col de Salenton est mémorable, à chaque pas le Mont Blanc se montre sous un jour différent, dans un ciel bleu azur...sidérant (sur le forums de montagne,on parlerai même de « hold up » !). Il n'y a que Séverine, parapentiste de son état, à être déçue : pas la moindre brise matinale sur ce secteur … « ça vole pas » (en même temps on aurait pas porté la voile depuis Servoz même pour une belle photo!).

La montée vers se fait sentier, le sentier est quand même un peu raide, mais on a hâte d'y déboucher pour profiter de la superbe vue vers la Suisse et le Tour...et de « voir sur place », comme recommandé , si le Buet se laisse grimper, même sans raquettes.

Pointe d'Anterne

Inutile de dire que la vue à cet endroit est époustouflante, et que le spectacle attendrissant de deux petits bouquetins jouant sur le fil du rocher, contribue grandement au charme puissant des lieux (quand on pense qu'en 1984, le CAF Chambéry avait 110 ans et qu'une pellicule permettait seulement 33 photos!).

Nous rejoignons l'itinéraire de montée du Buet depuis le refuge de la Pierre à Bérard, et nous ne sommes pas les seuls à avoir eu l'idée de venir arpenter cette face Est toute blanche. Il faut dire que la quadrilogie infernale Aiguille rouges / Verte / Argentière / Blanc tout en lumières, et ce dans le même cadre, est à tomber. On se presse donc pour venir la voir.

Malgré les nombreux passages, le sentier est bien caché sous la neige. Nous empruntons donc les petites traces faites par nos prédécesseurs, en n'essayant de ne pas glisser sur les ardoises cachées sous la neige. Pau et Guillaume profitent du monde croisé en chemin pour en savoir plus sur la température là haut. Il semble que le chandail ne sera pas de trop au sommet.

Quel spectacle que la crête finale qui mène au Buet : sur la gauche se découvre la vallée de l'Arve, le Môle, les crêtes du Haut Jura, Genève, les vallons du Chablais, et de l'autre, la vallée du Rhône (la valaisanne, pas celle de bison fûté !).

Le sommet nous laisse sans voix, mais pas sans idée puisqu' apparaissent les hauteurs du lac d'Emosson – Cheval Blanc et Tenneverge - de nouveaux projets de rando alpine ?

Guillaume stoïque face au mur du Buet

Sous le refuge de la Pierre à Bérard

A l'heure où une meute de traileurs fait son apparition, tous (et toutes) plus en shorts les uns que les autres, nous entamons les 1700 mètres de descente vers la gare du Buet.

Le sentier jusqu'au refuge Bérard est assez...alpin... , il faut marcher sur le rocher et ne pas perdre de vue les marques, au risque de devoir suivre les bouquetins dans leur parcours d'équilibriste.

La suite de la descente est assez longue, mais nous arrivons sans encombre à la gare du Buet. Fin du voyage !

Pour le plaisir

En dépit de l'humidité et du brouillard bien présent 2 jours sur 3, ce parcours offre des paysages incroyables, de la cascade en veux tu en voilà et de la faune derrière chaque brin d'herbe. Bref, un ravissement !

Merci à Pau pour le choix de l'itinéraire et à Guillaume et Séverine pour l'agréable compagnie et les parties de carte endiablées.

Un grand merci à Gilles, du CAF La Roche-Bonneville, de nous avoir gentiment véhiculé du Buet à Servoz. L'occasion de papoter sur nos clubs respectifs et sur les rando autour du Mont Blanc.

Les sorties Zwheno se poursuivent ce mois de septembre avec de la veillée en Vanoise, de la découverte d'activités en soirée, de la CO, du vélo et les fameux week-end Zwheno.