Un ami annécien m’a transmis ce qu’il a écrit dans la nuit qui a suivi l’accident. Il m’en a longuement parlé et on sentait encore sa très grande émotion. Il enrageait contre ces gens qui sortent sans DVA en prétendant que, là où ils vont, il n’y a pas de risques. Il fait de la randonnée à ski depuis plus de 30 ans ; il n’a pas d’autres "qualifications" que sa longue expérience ; c’était la première fois qu’il utilisait sa sonde. La femme qu’il a contribué à retrouver est morte. C’est avec son autorisation que je vous transmets son témoignage.
René
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Hier, jeudi, derniers préparatifs pour la fête des lumières.
Hier, le soleil éclairait à merveille les paysages du Sulens.
Le soleil transformait la poudreuse en diamants étincelants.
Les branches des arbres croulaient sous l’épaisseur d’une neige pourtant légère.
Hier nos premiers pas, dans cette nature hivernale, nous enchantaient.
Nous étions bien.
Pourtant hier, nous avons côtoyé la mort.
Au passage d’un mamelon, où la dernière partie du vallon apparaissait,Au fond sur une coulée de neige, sur la gauche, là où il y en a toujours,Quelques personnes cherchaient, dans cette neige brassée.
Immédiatement j’ai couru, couru dans leur direction, qui n’était pas la nôtre.Qu’une seule pensée, que doit-on faire pour être le plus efficace.
Ce champ de boules de neige était grand, tout le long de cette pente raide.La trace a disparu, la marche est plus difficile, j’enclenche la réception de mon ARVA.A mon arrivée dans le groupe j’avais déjà sorti de mon sac à dos, ma sonde.
J’apprends qu’une personne était déjà retrouvée, sa main sortait de la neige,Mais qu’une femme, sans ARVA, manquait.
Je re-basculais mon ARVA tout en sondant, car la croupe là-dessus était encore chargée de neige.Le manque d’expérience me fait rapidement retendre la corde de ma sonde.
Une personne a pris la responsabilité de la recherche, c’est un bon organisateur.Je l’entends discuter avec une personne faisant partie du groupe surpris par l’avalanche.Nous plantons nos sondes, tous alignés, rapidement, régulièrement tous les 20 centimètres, le long de nos skis, vers l’amont, en silence.Les surfaces de recherche, sont marquées à leurs extrémités, par des sacs.
Des randonneurs arrivent, nous sommes maintenant nombreux, peut être une trentaine, seul un sur deux est équipé de matériel de recherche et se joint à la ligne de sondeur.L’organisateur nous demande de bien rester en ligne, les uns contre les autres, afin que le sondage soit bien régulier.
L’atmosphère de travail est rigoureux, consciencieux, silencieux.
Les minutes sont lourdes.Un de ces moments de vie fort.
L’organisateur, nous encourage, « nous allons la trouver », il ne faut pas perdre de temps.Nous sondons toujours.
Le bruit si particulier de l’hélicoptère se rapproche.Il se pose sur mon sac resté ouvert, avec d’autres, toutes nos affaires volent...Nous sondons encore dans le calme la rapidité la discrétion.Un médecin et un secouriste, l’un recherche avec un détecteur imposant.Les chiens de recherche d’avalanche sont en exercice à Samoëns. Ils auraient été bien utiles.L’autre secouriste, après consultation du premier marcheur du groupe accidenté, demande aux sondeurs de remonter et de partir de la dernière position du premier du groupe.
Le sondage est repris immédiatement, avec la même précision, la même conviction, la même rapidité.D’autres ordres sont donnés : de rassembler les sacs, de ne pas laisser traîner du matériel, de ne pas uriner afin de ne pas gêner le travail de recherche des chiens, on les attend toujours.
Le temps s’écoule, nous sondons toujours.
Nouvel ordre, nous redescendons d’une dizaine de mètres.Toujours cette même précision de recherche, cette même complicité, cette même rapidité.Toujours ce travail dans le calme.Au bout de quelques minutes de sondage...Je vois mon voisin direct, à droite de moi, pelleter rapidement, sans un mot.Je suis surpris, je suis étonné, je continue à sonder... mais une veste bleue apparait !Quatre personnes pellettent.
Elle est allongée sous cette neige à côté de moi.Un secouriste demande son prénom ;« Michelle on est là, c’est fini, on t’a retrouvée, tu es avec nous ... »
Les pieds sont vers l’amont, légèrement croisés.Un secouriste lui retire ses raquettes.La tête est vers le bas.Pendant ce temps là, l’autre secouriste lui dégage le visage, il est blanc, blanc froid...Les secouristes, lui mettent un masque à oxygène, lui parlent, elle ne répond pas.
Ce n’est plus ma place je m’éloigne.Avez-vous besoin de moi ? Non. Je retourne à mon sac.Je rassemble mes affaires, l’hélicoptère revient.Il nous crépis pour une deuxième fois de neige avec l’air c’est glacial...Le bruit et l’air brassé par l’hélicoptère, contrastent avec l’ambiance calme des randonneurs.J’étais mains nues, mes gants sont pleins de neige comme toutes mes affaires.
Des groupes descendent, d’autres rejoignent le petit Sulens.Nous décidons de rejoindre par les crêtes le sommet.Nos pas sont lourds de fatigue et d’émotion, mes épaules sont en marmelade.
J’ai, nous avons, le sentiment d’avoir fait, d’avoir donné le maximum.
La beauté du sommet ensoleillé partiellement, ne nous fait rien oublier.La douceur de la neige poudreuse, à la descente, ne nous fait rien oublier.Un beau visage de femme pris dans le neige.La nuit j’apprends, sur la Huit Mont Blanc, qu’une femme, prise dans une avalanche au Sulens, a été transportée à l’hôpital, « son état vital est engagé ».
La montagne de Sulens, praticable dès les premières neiges, est un sommet au profil assez doux, particulièrement adapté à la raquette et également fréquenté par les skieurs de randonnée.
Le risque zéro n’existe pas en montagne...